Épaves

À la recherche de nouvelles épaves

 

 

1. Aspect législatif

1.1 Chercher en toute légalité

Au Québec, il est nécessaire d’avoir un permis de recherche archéologique pour chercher ou faire des fouilles sur des épaves. L’article 68 de la Loi sur le patrimoine culturel (L.R.Q, P-9.002, 2011, chap. B-4) informe que « Nul ne peut effectuer sur un immeuble des fouilles ou des relevés aux fins de rechercher des biens ou des sites archéologiques sans avoir au préalable obtenu du ministre un permis de recherche archéologique… ».
De ce fait, il est illégal à quiconque d’utiliser des méthodes de détection géophysique, voir même plonger, pour rechercher des épaves sans avoir obtenu un permis auprès du ministère de la Culture et des Communications du Québec (MCC). Pour ce projet, c’est l’archéologue Érik Phaneuf de la compagnie AECOM qui est le détenteur du permis et qui accompagne l’équipe sur le terrain.

1.2 Qu’est-ce qu’une épave?

La définition des épaves est assez complexe d’un point de vue légal. Elle est définie comme pouvant « être un navire ou une embarcation de tout type, un aéronef, ou partie d’un navire, d’une embarcation ou d’un aéronef (par exemple : cargaison, approvisionnements, appareil de chargement); elle peut être une partie quelconque d’un navire, d’une embarcation ou d’un aéronef qui flotte, coule au fond ou échoue sur la rive; l’épave peut être une partie de la cargaison, ou des effets personnels des membres d’équipage ou d’autres personnes naufragées » (Transports Canada, 2014).
Un titre patrimonial peut être attribué à une épave. Au Québec, les épaves dites patrimoniales qui en pratique non officielle doivent avoir 50 ans ne sont jamais mentionnées spécifiquement dans la loi, mais sont considérées comme site archéologique. La nouvelle Loi sur le patrimoine culturel (L.R.Q., P-9.002, 2011, chap. B-4) en vigueur depuis octobre 2013 définit un « bien archéologique » et un « site archéologique » comme des témoins de l’occupation humaine préhistorique ou historique et un « site patrimonial » est défini comme « un lieu […] un territoire qui présente un intérêt pour sa valeur archéologique, architecturale, artistique, emblématique, ethnologique, historique… » (L.R.Q. chap. B-4. art. 2). De plus, selon l’article 48, « Nul ne peut, sans l’autorisation du ministre, altérer, restaurer, réparer, modifier de quelque façon ou démolir en tout ou en partie un bien patrimonial classé… ».

1.3 La découverte d’une épave

Une fois une épave trouvée, notre responsabilité légale ne s’arrête pas là. En effet, la découverte d’une épave est soumise à une législation fédérale et provinciale. Il faut en faire la déclaration légale aux deux paliers de gouvernement.
Au fédéral, La Loi fédérale de 2001 sur la marine marchande du Canada (L.C. 2001, ch. 26) qui cite à l’article 155 qu‘une personne qui trouve et prend possession au Canada d’une épave dont le propriétaire n’est pas connu, doit, le plus tôt possible :
a) d’une part, en faire rapport au receveur d’épaves et lui fournir les documents et renseignements qu’il précise;
b) d’autre part, prendre à l’égard de l’épave les mesures que le receveur d’épaves lui ordonne de prendre, notamment la lui remettre dans le délai qu’il fixe ou la garder en sa possession selon les modalités qu’il précise.
Au provincial, il est mentionné que la « découverte d’une épave doit être signalée au Ministère de la Culture et des Communications comme toute découverte archéologique terrestre. Ce signalement obligatoire est régi par l’article 74 de la Loi sur le patrimoine culturel (L.R.Q., P-9.002, 2011, chap. B-4) qui mentionne que « quiconque découvre un bien ou un site archéologique doit en aviser le ministre sans délai». Le non-respect de cette loi peut engendrer des sanctions punitives pécuniaires importantes, car toute personne qui n’avise pas sans délai le ministre de la découverte d’un bien ou d’un site archéologique conformément à l’article 74 (…) commet une infraction et est passible, s’il s’agit d’une personne physique, d’une amende d’au moins 2 000 $ et d’au plus 30 000 $ et, s’il s’agit d’une personne morale, d’une amende d’au moins 6 000 $ et d’au plus 180 000 $ (L.R.Q., P-9.002, 2011, c. 21, art. 202).

2. Préparation de la mission de recherche

2.1 Chercher quoi?

Suite à plusieurs recherches, Samuel Côté a identifié 16 navires coulés au Québec pendant la Bataille du Saint-Laurent. Avant notre mission de recherche, seules trois épaves avaient été retrouvées.

2.2 Où chercher?

Position

Les sources primaires et secondaires réunies par Samuel ont permis d’avoir une position de chaque épave. Plusieurs paramètres ont été pris en compte afin de déterminer cette position finale, comme :
  • La position présumée et l’heure du torpillage
  • Le temps avant que le navire ne sombre
  • La distance entre le sous-marin et le navire au moment de l’attaque
  • La distance entre les navires du convoi
  • L’étude des archives de courants de surface (vitesse et direction)
  • Les dimensions du navire
  • Le point d’impact de la torpille
 

Précision

Les positions obtenues sont plus ou moins précises. La précision va dépendre de la source. Par exemple, l’épave du Carolus, qui a été localisée en 2006, est située à environ 2.5km de la position présumée du torpillage extrait du document intitulé Précisions sur des attaques de sous-marins ennemis contre des navires marchands. Plusieurs facteurs peuvent expliquer le positionnement approximatif des épaves :
  • Le capitaine du navire torpillé, dans l’énervement du moment, a pu mal estimer sa position.
  • Ce même capitaine, lorsqu’il rédigea le rapport d’attaque un ou deux jours plus tard, a peut-être inscrit une position erronée.
  • Dans certains cas, le navire a dérivé avant de sombrer.
 Au final, les positions des 16 épaves ont été retranscrites sur une carte et un indice de confiance leur a été assigné en fonction de la précision.

2.3 Que choisir?

La recherche d’épaves est un processus assez long, il n’est donc pas possible de chercher toutes les épaves au cours de l’été 2015. Nous avons donc choisi de cibler deux zones de recherche. Le choix a été fait en fonction de l’indice de confiance sur la position. Après plusieurs discutions, notre choix c’est arrêté sur les épaves au large de la pointe Gaspésienne. Nous cherchons donc :
  • Le Mount Pindus
  • Le Mount Taygetus
  • L’Oakton
  • L’Inger Elisabeth
  • Le Saturnus

2.4  Encore des indices

Malgré le travail déjà accompli, les zones de recherche restent encore très grandes. Il faut donc encore aller chercher d’autres indices qui vont nous permettre de mettre toutes les chances de notre côté.

Étude de la bathymétrie

Données bathymétriques dans le Saint-Laurent.
Une épave sur le fond de l’océan crée un relief qui n’est pas naturel. La topographie du fond marin est appelée bathymétrie. Ainsi lorsqu’une épave est présente, on a un changement de bathymétrie. Il est possible d’avoir accès à la bathymétrie des fonds marins d’une grande partie de la planète avec plus ou moins de précision selon la zone voulue. Au Canada, il est possible d’avoir des données de bathymétrie par le biais du Service Hydrographique du Canada (SHC). Les données à une résolution de 500m sont disponibles en tout temps à cette adresse . Il est possible d’obtenir les données à plus haute résolution en faisant une demande auprès du SHC.
Avant de partir en mission, nous avons donc étudié des données de bathymétrie fournies par le SHC, afin de voir si on ne repérait pas des formes suspectes. Après examen des données, une dizaine de cibles ont été identifiées.

Les témoignages

De gauche à droite : Mr Guy Sainte-Croix (Témoin), Émilie Devoe (Parc Canada), Alain St-Pierre (CIDCO), Sylvain Gautier (CIDCO)
Au cours de nos recherches, nous nous sommes aperçus que certains témoins de la Bataille du Saint-Laurent se rappellent d’avoir vu les naufrages des navires recherchés. C’est avec une grande générosité que ceux-ci nous confient leurs souvenirs.
Le Mount Taygetus, le Mount Pindus et l’Oakton étaient trop loin du rivage pour qu’ils soient aperçus. En revanche, les habitants de Cap-des-Rosiers ont vu les torpillages de l’Inger Elisabeth et du Saturnus. Un des témoins en train de pécher à bord de sa barge (nom donné à l’embarcation de l’époque) raconte : « le premier bateau coule vite et se casse en deux, il était à l’avant du convoi. Le deuxième bateau torpillé était dans le milieu du convoi. Ce dernier coule plus lentement. » Un autre nous explique que l’on pouvait voir les deux bateaux au niveau du phare de Cap-des-Rosiers et que les explosions se sont produites en plein milieu d’une zone de pêche au hareng. À l’époque, les profondeurs étaient mesurées en ligne. Monsieur Sainte-Croix raconte cette histoire avec moult détails, comme si cela s’était passé hier. On a pu grâce à cela, convertir l’unité de mesure locale en brasses et en mètres.
Ces précieuses informations nous ont permis d’affiner nos zones de recherche et de prioriser certaines cibles identifiées à l’aide des données bathymétriques.

3. La mission de recherche

Maintenant que nous avons fait le plein d’information, nous pouvons allez sur le terrain pour voir ce qu’il y a sous l’eau.

3.1 Voir sous l’eau

On ne peut pas voir sous l’eau de la même manière que l’on voit sur Terre. En effet, sur Terre, on perçoit de l’information par le biais d’ondes optiques. Or les ondes optiques voyagent très difficilement dans l’eau et donc le champ de visibilité est très réduit. Pour percevoir de l’information sur de grandes distances, sous l’eau, il faut utiliser les ondes acoustiques comme le font les mammifères marins, par exemple.
Le principe général de l’utilisation des ondes acoustiques est très simple. On envoie du son dans l’eau, lorsque ce son atteint une cible (le fond par exemple), le son revient dans la direction où il a été envoyé. On calcule le temps aller-retour que le son met pour revenir, ceci nous permet d’obtenir une distance et donc une profondeur.
Principe du calcul de la profondeur avec un sondeur.
L’outil pour envoyer et recevoir du son dans l’eau s’appelle un sondeur. Il existe plusieurs types de sondeurs, dans le cas de notre recherche d’épaves, nous avons utilisé un sondeur multifaisceau. Un sondeur multifaisceau permet d’obtenir des profondeurs sous et sur le côté du bateau pendant que celui-ci avance.
Principe du sondeur multifaisceau
En faisant plusieurs passages sur une zone, il est possible d’avoir la profondeur en tout point de celle-ci. On perçoit donc la forme du fond, c’est-à-dire la bathymétrie de la zone. On peut donc repérer des formes intéressantes comme les épaves.
Modèle Numérique de Terrain obtenu avec un sondeur multifaisceau.
Les personnes qui utilisent les sondeurs pour faire de la bathymétrie s’appellent des hydrographes. Si vous désirez avoir plus d’information sur ce métier, vous pouvez contacter l’équipe du CIDCO ou consulter le site suivant: http://carrierehydrographe.weebly.com

3.2 Les bateaux de recherche

Pour trouver les épaves de la Bataille du Saint-Laurent, deux bateaux ont été utilisés :
Le F.J. Saucier, vedette de sondage du CIDCO. Ce navire peut être déployé rapidement et dans de faibles profondeurs. Il mesure 8.2m de long et a un tirant d’eau de 0.7m.
Le Coriolis II, navire de recherche océanographique canadien appartenant au consortium REFORMAR. Ce bateau permet d’aller loin des côtes et donc de faire de la bathymétrie à grandes profondeurs. Il mesure 50m de long et a un tirant d’eau de 5.2m.

3.3 Les zones insonifiées

Lorsque l’on passe à un endroit avec un sondeur, on dit que l’on insonifie une zone. Au cours de ce projet, nous avons passé 3 jours en mer et nous avons insonifié au total 220 km2 de fond marin.
Recherche de l’Inger Elisabeth et du Saturnus
Recherche du Mount Pindus, du Mount Taygetus et de l’Oakton

4. Traitement des données de bathymétrie

Après la mission, on revient à la maison avec plein de données qu’il faut analyser pour confirmer la découverte d’épaves. La première étape du traitement est de nettoyer les données pour retirer les informations non pertinentes et qui perturbent l’analyse. Lorsqu’une forme suspecte apparait, on prend ses mesures pour confirmer ou non que c’est une épave.
Mesure de dimension à partir de données acoustiques.

5. Identification d’une épave

Lorsque l’équipe du CIDCO a fini l’analyse des données sur les épaves, toutes les informations sont données à Samuel Côté et à Érik Phaneuf pour l’identification et la déclaration de l’épave au gouvernement.
Les données de bathymétrie permettent d’avoir des dimensions. Elles permettent également de connaitre l’état actuel de l’épave et d’avoir des informations sur les dégâts qu’a subi le bateau. Ainsi en recoupant ces informations avec les sources bibliographiques sur le naufrage, il est possible d’identifier l’épave et de lui donner un nom.